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Jean-Marie Vincent L’espérance assassinée

Le 28 août 1993, vers 8 heures du soir, le Père Jean-Marie Vincent, prêtre de la Congrégation des Pères Montfortains, a été criblé de balles alors qu’il rentrait au volant de son véhicule, au local de sa communauté, à la rue Baussan à Port-au-Prince (juste à côté de l’église Saint Louis Roi de France). Il a succombé à cette agression ; cela fait exactement 24 ans. Les assassins courent toujours, nous rappellerait Jean Dominique qui, quelques années plus tard, a connu un sort similaire !

Ce texte est un rappel pour celles et ceux qui, comme moi, ont eu le privilège de connaître Jean-Marie (Janboul, pour les plus proches) ; en même temps, un témoignage par ce qu’il ne faut pas laisser l’oubli s’installer ! Ne dit-on pas que « Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir » ?

Plus important à mon avis, ce texte est une introduction ou présentation de quelques traits et actions de Jean- Marie Vincent à des compatriotes plus jeunes, souvent en quête de modèle, et qui sont certainement en plus grand nombre puisque le 4ème Recensement Général de la Population et de l’Habitat mené par l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique en 2003 (donc, 9 ans après la mort de Jean-Marie) révèle que

 

« Plus de la moitié de la population a moins de vingt et un (21) ans. Les personnes âgées de moins de quinze (15) ans représentent 36,5 % de la population, celles de 15 à 64 ans 58,3 %, tandis que la population âgée de 65 ans et plus est de 5,1 %.. » Avec les jeunes ainsi qu’avec ceux et celles qui le sont moins, je veux garder en arrière-plan, cette question qui, depuis longtemps, me taraude : « Comment notre pays peut-il progresser quand sont ainsi fauché-e-s les meilleur-e-s, ceux et celles qui lui sont le plus dévoué-e-s ? »

J’ai fait la connaissance du Père Jean-Marie Vincent dans le cadre de la Caritas Nationale d’Haiti. J‘étais alors Secrétaire Générale de cette importante organisation (1976- 1987). Jean-Marie était Directeur de la Caritas Paroissiale de Jean-Rabel, Responsable de l’Équipe Missionnaire du Diocèse de Port-de-Paix, avant de devenir Directeur de la Caritas Diocésaine du Cap-Haïtien.

Il faut dire qu’à cette époque, la Caritas, en tant que branche et instrument de la Pastorale Sociale de l’Église Catholique d’Haïti, venait en assistance aux populations sinistrées via une Aide d’Urgence : en aliments et médicaments ; également en outils pour la réhabilitation de parcelles cultivées, la réparation de canalisations bouchées ou détruites, le redressement ou même la reconstruction de maisons détruites après les cyclones qui ont frappé le pays, à plusieurs reprises, surtout dans le Sud; aide en provisions alimentaires et en semences après les longues périodes de sécheresse qui ont sévi, de façon plus dramatique, dans le Nord-Ouest et dans le Nord-Est du pays. Les semences et les denrées alimentaires, elles-mêmes, étaient parfois achetées à une autre Caritas diocésaine dans le but d’éviter que l’aide ne détruise la production nationale.

La Caritas entretenait des programmes réguliers d’Assistance en fournissant aliments et médicaments à des écoles, dispensaires, hôpitaux et asiles de vieillards… Cependant, la Caritas avait choisi d’accorder sa priorité aux programmes de Sensibilisation, de Formation, d’Encadrement et d’Organisation de la population, en particulier celle vivant en milieu rural. Ces programmes étaient destinés aux organisations de base (groupements de femmes et groupements mixtes) qui se sont formés à travers tout le pays.

Dans la ligne du Concile Vatican II et à la suite des importantes assemblées épiscopales de Medellin et de Puebla, Caritas Haiti avait fait sienne l’option préférentielle pour les pauvres … [« sans exclusive », s’empressaient d’ajouter quelques évêques].

Dans tous les domaines précités, Jean-Marie était une des personnes les plus convaincues, les plus dynamiques et les plus engagées.

En tant que prêtre, Jean-Marie se situait dans la ligne de la Théologie de la Libération. Il faisait aussi partie du GRIMPO (Groupe de Religieux-ses inséré-e-s en milieux populaires). Il avait fait siennes les revendications de la population paysanne pauvre, en particulier.

Homme d’action, Jean-Marie a accompagné ce dernier groupe social dans ses revendications de base. Par exemple,

pour avoir accès à l’utilisation de terres de l’État : telles celles dans le Nord-Est, totalement laissées à l’abandon, après que les fibres synthétiques aient remplacé avantageusement le sisal sur le marché international; rendant ainsi la Plantation Dauphin inopérante.

pour que les taxes imposées aux marchand-e-s correspondent aux sommes fixées par la loi et cessent de dépendre du bon vouloir des percepteurs de contribution ; et aussi pour que l’argent récolté soit utilisé pour le bien de la communauté (pour nettoyer les marchés, par exemple, et les rendre plus salubres).

Après l’éradication des cochons créoles par le PEPPADEP (Programme pour l’Éradication de la Peste Porcine Africaine et pour le Développement de l’Élevage Porcin) lancé en 1981, Jean-Marie qui avait essayé vainement de convaincre les autorités de garder – en les isolant s’il le faut – quelques spécimens de porcs sains, s’est battu et a finalement pu obtenir la réintroduction dans notre pays de nouvelles races de porcs robustes et capables de s’adapter, tant à notre climat qu’aux conditions de vie de nos masses paysannes. Cette lutte pour les cochons créoles a été menée avec l’implication de toutes les Caritas diocésaines ainsi que d’autres organisations : en particulier, le Mouvement des Paysans Haïtiens (M.P.P) et l’Association Nationale des Agronomes Haïtiens (ANDAH).

 

De plus, Jean-Marie a aidé les organisations de base à se structurer pour être plus efficaces et avoir plus d’impact. Son encadrement a facilité, par exemple, le passage de groupements paysans, disséminés dans les sections communales, à la mise sur pied d’une organisation paysanne au niveau national. C’est le cas de Tèt Kole Ti Peyizan Ayisyen.

Evidemment, pareilles démarches allaient à contre-courant du statu quo établi. Certain-e-s ont pris peur. Il s’est produit, le 23 juillet 1987, ce qu’on a appelé depuis : « le massacre des paysans de Jean-Rabel ». 139 personnes, au moins, y ont perdu la vie ! Dans ce cas également, les assassins courent toujours…

Jean-Marie qui n’était pas dans le pays lors du massacre, a été muté à son retour. Mais, comme son engagement n’était pas limité au monde rural, Jean-Marie s’est investi avec autant de conviction et d’ardeur dans le milieu urbain. A la Caritas du Cap, par exemple, Jean-Marie a pris l’initiative – entre autres- d’organiser une cafétéria pour permettre aux étudiants et étudiantes de la ville d’avoir accès à un repas complet, en échange d’une contribution modique.

Par-dessus tout, Jean-Marie était un homme de vision. Déjà à la fin des années 80, alors que la majorité de la population haïtienne actuelle n’était pas encore née ou bien se trouvait dans les langes, Jean-Marie a négocié avec les autorités étatiques et obtenu le droit de collecter les ordures ménagères des marchés publics pour en faire du compost.

Lors de mes dernières visites au Cap-Haitien, ma ville natale, à la vue des montagnes d’immondices qui, entre autres effets néfastes, empêchaient la circulation des véhicules et même celle des piétons, j’ai réalisé combien une telle initiative était importante et nécessaire. Pourquoi a-t-elle été discontinuée est une toute autre question qui renvoie à beaucoup d’autres… De toute évidence, il s’agissait là d’une approche intéressante non seulement sur le plan environnemental, mais également nécessaire, si l’on veut maintenir et bénéficier des atouts culturels et touristiques de cette ville historique.

Je termine mon intervention en soulignant que dans tous les domaines dont j’ai fait mention, Jean-Marie n’a jamais agi seul ! C’était un homme d’équipe, un homme de réseau, un rassembleur capable de mobiliser d’autres personnes autour d’une cause. Il s’agit là pour moi d’une grande qualité, surtout dans cette société individualiste et de « chen manje chen » dans laquelle nous nous trouvons et qui nous empêche de prospérer.

Jean-Marie peut reposer en paix. Fidèle à ses convictions, il a bien servi son Peuple, son Église, sa Patrie.

Mon souhait est que d’autres prennent la relève et portent le flambeau encore plus haut !

Claudette Werleigh,

Aout 2018

Haïti en Marche, édition du 29 Août au 04 Septembre 2018 • Vol XXXII • Nº 33

N.B. Ceux et celles qui sont intéressé-e-s à savoir davantage, peuvent contacter des membres de la Fondation Jean-Marie Vincent aux numéros suivants : (509) 4869 7403 et (509) 3796 1633

1 comment

  1. Fausta Jean - Maurice 5 ans ago 17 octobre 2019

    Atik sa a ta dwe tradwi an kreyol epi repibliye.

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